Sergio Olarte, économiste en chef, Scotiabank Colpatria, et Jackeline Piraján, économiste principale, discutent de l’évolution du contexte économique de la Colombie en 2023 et de leurs attentes pour 2024.
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Résumé de l’épisode :
Dans cet épisode du balado Le point sur les marchés, Sergio Olarte, économiste en chef, Scotiabank Colpatria, et Jackeline Piraján, économiste principale, discutent de l’évolution du contexte économique de la Colombie en 2023, de leurs principales préoccupations et de leurs attentes pour 2024, dont la possibilité d’une saine décélération de la croissance du PIB.
Présentatrice : Vous écoutez le balado Le point sur les marchés de la Banque Scotia. La série de balados Le point sur les marchés fait partie de la série Capital de connaissances. Elle vise à vous présenter les perspectives des leaders et experts des Services bancaires et marchés mondiaux de la Banque Scotia.
Dans cet épisode du balado Le point sur les marchés, Sergio Olarte, économiste en chef, Scotiabank Colpatria, et Jackeline Piraján, économiste principale, nous parlent de l’évolution de la conjoncture économique dynamique de la Colombie en 2023. Ils abordent également leurs principales préoccupations et leurs attentes pour 2024, dont la possibilité d’une saine décélération de la croissance du PIB. Je vous laisse entre les mains de Sergio Olarte.
Sergio Olarte (S. O.) : Bonjour, Jackie. Merci de vous joindre à moi.
Jackeline Piraján (J. P.) : Merci pour l’invitation.
S. O. : Plongeons sans plus attendre dans le vif du sujet. Je pense que nous devrions avant tout parler des récents changements politiques. Aux yeux des investisseurs, les institutions de l’Amérique latine ont généralement la réputation d’être plus strictes. Toutefois, elles sont définitivement très différentes les unes des autres. Comment les institutions colombiennes se comparent-elles à celles du Pérou, de l’Argentine et du Venezuela, par exemple? En fait, ces institutions sont totalement différentes et chacun de leurs systèmes de freins et de contrepoids a ses nuances. À mon avis, celui de la Colombie fonctionne très bien. Aujourd’hui, nous vous ferons part de nos réflexions sur le fonctionnement de ce système de freins et de contrepoids et sur la répartition du pouvoir en Colombie et sur la scène politique colombienne. Nous savons que, par le passé, ce sujet était une priorité pour les analystes lorsqu’ils prenaient la décision d’investir ou non.
Alors Jackie, pourriez-vous d’abord nous parler de la fin de l’année 2022? Que s’est-il passé en Colombie et quelles étaient les principales préoccupations des investisseurs?
J. P. : Eh bien, Sergio, j’imagine que nous sommes tous d’accord pour dire que les marchés sont devenus plus volatils. Vous le savez, les taux d’intérêt ont grimpé. Je crois que nous avons assisté, en Colombie surtout, à des événements dans les dernières années qui nous ont menés à la situation actuelle. Je vous dirais qu’à la fin de l’année 2022, la situation politique était la plus grande source d’inquiétudes concernant la Colombie. Souvenez-vous de nos élections présidentielles. La population a élu un candidat de gauche, Gustavo Petro, pour un mandat de 2022 à 2026. À ce moment-là, je pense que la peur de l’inconnu était le sentiment qui se faisait le plus sentir sur le marché. N’oubliez pas qu’au début de son mandat, M. Petro pouvait compter sur l’appui massif du Congrès. Il a aisément su faire adopter une profonde réforme fiscale. Le nouveau président a aussi annoncé un programme très ambitieux, parlant de réforme des pensions, de réforme des soins de santé et de réforme du travail, mais aussi de mesures radicales, notamment pour la transition énergétique. Ce lot d’annonces a considérablement augmenté la volatilité des marchés intérieurs. N’oubliez pas qu’à ce moment-là, notre taux de change dépassait 5 000 pesos colombiens pour 1 dollar américain. De plus, les bons du Trésor de la Colombie (COLTES) affichaient un rendement bien au-delà de 14 %. C’était donc, selon moi, la plus grande inquiétude à la fin de l’année 2022.
S. O. : Merci pour ce récapitulatif des turbulences du marché. Je m’en souviens comme si c’était hier. Si je ne me trompe pas, une importante vague de changements s’en est suivie. Qu’est-ce qui a changé depuis décembre 2022?
J. P. : Je trouve que le cadre institutionnel de la Colombie s’est montré très résilient en 2023. Tout d’abord, nous devons souligner que la banque centrale a continué à mener une politique monétaire indépendante. Comme vous le savez, les taux directeurs ont été élevés pendant toute l’année 2023. Nous maintenons notre approche du taux de change flottant, qui est aussi une très bonne initiative que nous avons prise en Colombie. Le gouvernement a aussi déclaré qu’il respecterait les règles financières et tient parole pour l’instant. Selon moi, en politique, le système de freins et de contrepoids est là pour de bon. Malgré le programme ambitieux du gouvernement, le Congrès nous a démontré qu’il n’était pas facile de faire adopter des changements radicaux. Comme vous vous en souvenez, au premier trimestre, le gouvernement a tenté de faire passer une réforme des soins de santé et a failli dissoudre la coalition politique formée au début du mandat. Je pense que 2023 nous a prouvé que nous pouvons compter sur les institutions bien établies de la Colombie et, donc, envisager une issue optimiste pour nos avoirs intérieurs. Ensuite, l’appui au président et sa cote de popularité ont chuté, comme l’ont montré nos élections régionales, qui ont révélé un appui très faible au parti du gouvernement. Si vous vous souvenez bien, lors des élections présidentielles de 2022, près de 50 % de la population a voté pour M. Petro. En fait, un peu plus que 50 % parce qu’il est maintenant notre président. En proportion du PIB, environ 60 % des régions du PIB en Colombie ont voté pour le président Petro. Aux élections régionales, environ 80 % des régions du PIB n’ont pas voté pour le parti du gouvernement. Il s’agit d’un revirement majeur en une période d’un an, qui nous prouve que la population s’attend à des résultats. Les gens sont peu patients. En fin de compte, cette réalité est un exemple du système de freins et de contrepoids à l’œuvre, qui oblige le gouvernement à négocier pour apporter des changements. Je crois que puisque l’appui au gouvernement a diminué dans ces régions, les risques auxquels nous étions confrontés au début de 2022, à l’entrée en force du gouvernement de M. Petro, avaient déjà grandement diminué à la fin de 2022. En gros, je trouve qu’il est important de reconnaître que l’organisation du pouvoir politique en Colombie a du bon.
Sergio, selon vous, qu’est-ce qui fonctionne bien dans la répartition des pouvoirs?
S. O. : C’est une excellente question, très importante selon moi. Tout d’abord, nous avons trois principaux ordres de pouvoirs différents : La présidence, qui prend les décisions sur le budget, dépense l’argent et fait avancer les choses sur le plan institutionnel. Le président peut aussi proposer au Congrès des choses qu’il veut changer, ce qui lui permet d’apporter une contribution concrète. De son côté, le Congrès suit une procédure. Normalement, il faut au moins deux ans pour que les grandes réformes soient adoptées par le Congrès, qui décide des mesures législatives à court et à long terme. Le président doit donc négocier avec le Congrès et les différents partis qui le composent. Enfin, la Cour, surtout la Cour constitutionnelle, défend la Constitution. C’est donc elle qui a le dernier mot. Si le président convainc le Congrès d’accepter une loi, mais la Cour juge qu’elle n’est pas constitutionnelle, c’est-à-dire qu’elle va à l’encontre de la Constitution, le projet tombe à l’eau. En Colombie, la politique est donc très importante et l’engagement est très fort. Dans l’ensemble, le cadre politique semble être bien établi en Colombie et ne plus être la principale source d’inquiétude, du moins pour l’instant, même si des craintes persistent quant aux risques de crédit parce que le président veut encore changer énormément de choses. Nous nous préoccupons désormais davantage du contexte macroéconomique et de l’évolution des principales variables. C’est pourquoi nous devrions maintenant parler de l’économie, de la reprise et de l’inflation de l’an dernier et de l’année qui vient de commencer.
Alors, Jackie, pourquoi avons-nous connu une reprise aussi abrupte en 2022? Quelles en ont été les répercussions sur l’économie d’aujourd’hui?
J. P. : Sergio, je suis d’accord avec vous : il est très important d’être au courant du programme politique. Passons maintenant à l’économie. Pour ce qui est de l’activité économique, je dirais que la reprise après la pandémie a été très forte, d’une force atypique et soutenue. Si vous vous souvenez bien, quand la Colombie a lancé ses politiques de réouverture, nous avons retrouvé l’activité économique d’avant la pandémie dès le milieu de l’année 2021. En 2022, le secteur des services était en plein essor. Nous observions une frénésie de consommation du côté de la demande intérieure. Les ménages voyageaient, allaient voir des spectacles et s’offraient des services. Ce regain a été propulsé par le sentiment de liberté retrouvée, mais aussi par l’aide financière du gouvernement. N’oublions pas les congés, les subventions et les taux d’intérêt peu élevés. À mon avis, tous ces éléments ont fini par créer des conditions très propices à une hausse de l’inflation très élevée. Nous étions très heureux de la forte consommation enregistrée en 2022 en Colombie, mais, en réalité, cette consommation n’était pas très saine. Au bout de la ligne, beaucoup de gens se sont tournés vers le crédit. Imaginez un kart. Si vous accélérez et maintenez la vitesse maximale longtemps, vous finirez probablement par faire sauter le moteur. Ce n’est pas une stratégie viable. Il est plus difficile de réagir à un imprévu à une aussi haute vitesse. Toute cette frénésie de consommation a mené la banque centrale à intervenir en augmentant son taux directeur. En 2023, les taux d’intérêt sont demeurés très élevés. En moyenne, 30 % pendant l’année. À la fin de l’année, la banque centrale a entrepris un cycle d’assouplissement, mais elle voulait avant tout maîtriser l’inflation.
L’inflation, je dois l’admettre, est attribuable à différents facteurs. À la réouverture, le premier facteur a été la pénurie de certains biens en raison des rumeurs qu’il y avait des goulots d’étranglement dans la chaîne mondiale d’approvisionnement et ainsi de suite. Nous avons aussi exercé des pressions sur la demande de biens durables. Le deuxième facteur de l’inflation est la hausse du prix des aliments. Je pense qu’elle s’explique par deux facteurs. D’abord, la reprise économique a son rôle à jouer : les organisateurs d’événements d’envergure avaient besoin d’aliments à offrir aux consommateurs. Ensuite, elle est aussi le résultat de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Nous l’avons ressenti à l’échelle internationale pour les prix des produits de base. Enfin, nous avons constaté que l’inflation du secteur des services avait aussi un rôle à jouer dans la forte inflation ressentie en Colombie parce que ce sont ce que les gens préfèrent s’offrir malgré les taux d’intérêt très élevés. Les gens réduisent leur consommation de biens durables pour pouvoir s’offrir des services peu dispendieux, comme aller au cinéma ou au restaurant. Ils ont donc continué à dépenser dans le secteur des services et à alimenter l’inflation. À la fin de l’année 2023, si vous vous en souvenez, nous avons obtenu les statistiques de l’inflation. Nous avons constaté que l’inflation était passée d’environ 13 % à 9,3 % de la fin de l’année précédente à la fin de 2023. Je parle du taux d’inflation globale, soit dit en passant. Nous avons constaté que l’inflation de base des prix des services demeurait élevée. L’inflation a persisté et nous nous sommes retrouvés avec un taux d’inflation de base supérieur à 10 %, 10,3 %, si je me souviens bien. C’est donc tout un défi pour la Colombie. L’indice des prix à la consommation a probablement des répercussions sur certains de ces prix. Malgré tout, je pense que 2023 a été une année de transitions : une transition vers une croissance économique plus durable et une transition vers une trajectoire de convergence de l’inflation plus durable près de la fourchette cible. Les services sont clairement une composante importante de l’inflation.
S. O. : Oui, Jackie, vous avez raison. L’inflation dans le secteur des services est très, très marquée à l’heure actuelle, non seulement en Colombie, mais aussi dans le monde entier. Nous l’avons constaté au Canada, aux États-Unis et en Europe. C’est un peu comme si, après la pandémie, nous étions tous devenus des millénariaux. Nous ne voulons plus de maison ni de voiture. Nous préférons vivre des expériences et c’est pourquoi nous consommons beaucoup de services. Cette philosophie ne fait qu’augmenter les prix dans le calcul du taux d’inflation. C’est ce qui s’est passé dans le monde entier, mais aussi en Colombie. Comme vous l’avez mentionné plus tôt, c’est cette partie de l’inflation qui est certainement la plus difficile à l’heure actuelle et qui le sera encore plus à l’avenir. En fait, si l’on divise l’inflation du secteur des services et l’inflation des biens par l’inflation affectée par la fluctuation des taux de change, nous constatons que l’inflation des biens échangeables est en baisse. Par exemple, en décembre l’an dernier, les prix des voitures sont passés d’un taux d’inflation de 20 % au début de l’année à 3 % en décembre de l’année dernière. Ce type de produits contribue donc à faire baisser l’inflation par la diminution des prix à l’échelle internationale, mais aussi par la baisse de la demande. L’inflation du secteur des services n’augmente plus, mais elle ne diminue certainement pas assez vite, car, comme vous l’avez dit, l’année dernière a été l’année des spectacles en Colombie. Nous avons reçu Roger Waters et beaucoup d’artistes nationaux. Les stades étaient pleins à craquer et les prix des billets très, très élevés. Il faudra donc plus de temps pour qu’elle diminue. L’inflation est définitivement en mode accélération, contrairement à ce qui se passe chez nos homologues. Par exemple, au Pérou, au Chili ou au Brésil et même au Mexique, l’inflation est déjà proche de la cible de maîtrise de l’inflation. La Colombie affiche une inflation trois fois au-dessus de cette cible. Pourquoi? Pour tout ce que vous venez de mentionner. Ce sont des effets de l’indexation.
J. P. : Pour l’inflation, il ne faut pas oublier que la Colombie dispose d’un mécanisme spécial : l’indexation. En gros, nous fixons le prix de certaines choses en fonction du taux d’inflation ou des augmentations du salaire minimum de l’année précédente. Par exemple, si vous êtes propriétaire, vous pouvez augmenter le prix de vos loyers en fonction du taux d’inflation de l’année précédente. En 2023, les propriétaires ont donc été autorisés à augmenter les loyers d’environ 13 %. En 2024, ils sont autorisés à augmenter les loyers d’environ 9,3 %, ce qui correspond en fait au taux d’inflation de l’an dernier.
S. O. : Exactement. De même, en Colombie, nous n’avons pas augmenté les prix de l’essence comme ailleurs dans le monde. Nous l’avons fait beaucoup plus tard. L’année dernière, nous avons donc subi une augmentation de 44 % du prix de l’essence. Cette augmentation à retardement rend la baisse plus difficile. Toutefois, en 2024, nous pensons que ces hausses commenceront à se dissiper. Comme l’inflation a terminé l’année dernière en dessous de 10 %, à 9,3 %, les prix sur le marché baisseront, ce qui est une très bonne nouvelle. Nous pensons aussi que les biens échangeables et la baisse de la demande aideront l’inflation dans son ensemble, l’inflation globale, à se rapprocher de la cible de maîtrise de l’inflation (je ne dis pas à l’atteindre, mais bien à s’en rapprocher) d’ici la fin de l’année. Je crois donc qu’en ce sens, la banque centrale pourrait commencer à sortir de sa « pause » et continuer à assouplir son taux directeur. En décembre l’an dernier, plus précisément le 19 décembre, la banque centrale de Colombie a décidé d’entamer un cycle d’assouplissement après un long cycle de hausse depuis la pandémie. Elle l’a donc fait passer très graduellement de 13,25 % à 13 % pour envoyer le message que la plupart des inquiétudes concernant l’inflation étaient dissipées et qu’elle allait commencer à assouplir le taux directeur et se diriger progressivement vers un cadre à long terme pour les taux d’intérêt et l’inflation. Nous nous attendons à ce que ce cycle d’assouplissement se poursuive, mais sa vitesse dépendra fortement de la décélération de l’inflation, surtout pendant le premier semestre de cette année. L’inflation et le taux directeur ne sont pas que les deux seuls problèmes.
Nous avons d’autres sujets à aborder, et l’un d’entre eux est sans aucun doute les comptes budgétaires. Dans quelle mesure le plan budgétaire du gouvernement est-il prudent à l’heure actuelle?
J. P. : Bien sûr, Sergio. Selon moi, tous ces éléments sont liés. En 2021-2022 et après la pandémie, nous avons observé de bons comportements financiers. La croissance très supérieure au PIB potentiel que nous avons connue a aussi favorisé la possibilité de percevoir davantage d’impôt. En ce sens, nous avons vu le gouvernement parvenir à réduire le déficit budgétaire qui représentait 5,3 % en 2022 à environ 4,3 % l’an dernier. Malgré cette amélioration, je pense que l’imposition sera un sujet sur toutes les lèvres en 2024. Pourquoi? Parce que, selon nos prévisions, la Colombie devrait continuer à afficher une croissance économique lente d’environ 1,8 % pendant l’année. Dans une telle situation, le gouvernement ne sera probablement pas à l’aise d’augmenter le taux d’imposition. Il devra donc se débrouiller avec un budget restreint cette année. Enfin, nous devons nous rappeler que nous avons affaire à un nouveau gouvernement au programme politique axé sur les prestations sociales et les programmes sociaux. Il souhaite augmenter considérablement les dépenses relatives aux programmes sociaux. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais la Colombie avait l’habitude d’investir une proportion de 17 % ou de 15 % du PIB dans les dépenses, ce qui était très peu. En ce moment, le gouvernement a l’intention de porter les dépenses budgétaires à 25 % du PIB, ce qui est énorme. Il aura donc probablement de la difficulté à concrétiser son programme, étant donné qu’il s’attend maintenant à une perception de l’impôt plus modérée. À suivre. Nous devons souligner pour nos auditeurs que le gouvernement tient à respecter les règles financières. L’administration de l’impôt a son mot à dire. Si elle dit au gouvernement qu’il doit réduire ses dépenses parce qu’il n’a pas assez de fonds, il le ferra parce qu’il respecte cette institution et en ferra son principal mantra pour 2024. Soyez sans crainte : le gouvernement respectera les règles financières. Entre-temps, nous pourrions observer une certaine volatilité. En ce qui concerne la volatilité, nous attendons toujours des annonces positives. L’administration de l’impôt pourrait indiquer à un moment ou à un autre qu’elle ne perçoit pas autant d’argent que ce à quoi elle s’attendait ou qu’il est totalement garanti que le gouvernement percevra de l’impôt, par exemple, pour toutes les poursuites ou les promesses dans le budget. Enfin, je pense qu’il faut être très prudent avec ce genre de nouvelles, et surveiller l’intervention du gouvernement pour voir s’il revoit ses dépenses en fonction de l’impôt attendu ou non. Au final, le plus important sera, entre autres, de surveiller si le gouvernement augmente ou non le prix du diesel, s’il revoit certains de ses plans de réforme, le coût de ces réformes et sa réaction à tout changement dans l’économie concernant l’imposition. Pour tout le reste, nous devons aussi dire que des agences de notation comme Fitch et Standard & Poor’s ont déclaré que nous avons une faible probabilité, encore une fois, d’afficher une note de première qualité pour la dette extérieure à long terme. J’ai l’impression que cette notation nous indique que tout est un processus. En ce qui concerne l’imposition, je crois que le gouvernement pourrait avoir plus de difficulté cette année et que nous devons surveiller attentivement ses réactions aux chocs éventuels. Nous devons donc rester à l’affût de ce qui se passe avec ses réformes, de leur coût et des difficultés financières connexes. Comme la reprise a été trop rapide, les niveaux d’aide financière du gouvernement seront importants.
Toutefois, certains investisseurs craignent que la croissance à long terme soit graduelle pendant de nombreuses années. Que pensez-vous de cette inquiétude?
S. O. : Je pense qu’il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte. Tout d’abord, pour les perspectives des tendances à court et à long terme, il est important de comprendre que les niveaux sont importants. Nous ne devons pas seulement nous arrêter à notre croissance de 7,3 % en 2022 qui a beaucoup diminué en 2023 pour atteindre environ 1,1 %. Les niveaux sont importants. Comment se porte notre production? Selon moi, la reprise après la pandémie a été trop rapide et nous avons eu beaucoup de pertes de production. Par exemple, nous avons enregistré une croissance de plus de 11 % en 2021, et nous avons retrouvé le niveau d’avant la pandémie au troisième trimestre de 2021. En 2022, cette croissance spectaculaire s’est maintenue. Notre économie était en quelque sorte en surchauffe, si je peux me permettre. Par exemple, si vous vous entraînez pour un marathon, mais courez trop souvent et poussez trop votre corps, vous finirez probablement par vous blesser. Vous devez vous arrêter de temps en temps pour souffler un peu. C’est exactement ce qui s’est passé, à mon avis, en 2023. Bien sûr, c’est une erreur coûteuse. Certains secteurs ont connu des difficultés, d’autres non, mais en fin de compte, sur le plan macroéconomique, je crois que nous avons eu la confrontation avec la réalité dont nous avions besoin. Comment avons-nous su que nous étions en surchauffe ou que nous nous étions trop entraînés, pour reprendre l’exemple du marathon? L’inflation a repris. Nous avions un déséquilibre extérieur, historiquement élevé. Normalement, notre déséquilibre extérieur est d’environ trois points de pourcentage du PIB. L’année dernière, il était deux fois plus élevé. Nous avions un déficit courant de 6 % du PIB. Nous avons donc dû ralentir un peu, ce qui nous a en fait permis de corriger nos déséquilibres. Le déficit courant est passé de 6 % du PIB à moins de 3 % du PIB l’an dernier et l’inflation a commencé à baisser. Nous ne traversons donc pas une crise. Nous sommes dans une phase de décélération saine pour revenir sur une trajectoire viable à long terme. Il est important que le volet investissement de l’économie se rétablisse assez rapidement. Le contraire pourrait nuire à la croissance à long terme. Nous avions définitivement besoin des contrecoups de 2023. En réalité, comme les taux d’intérêt sont très élevés dans le monde entier, la liquidité des marchés émergents diminue. Nous n’avons plus l’impression qu’il existe une liquidité infinie et qu’il y a de l’argent pour tout le monde en tout temps, plus maintenant. Les gens sont très endettés. Le crédit de restructuration et les nouveaux taux d’intérêt élevés dans le monde entier nous obligent à être prudents et à investir notre argent très prudemment. Cependant, il est intéressant de noter qu’en Colombie, nous sommes souvent en retard par rapport au reste de nos homologues. Nous pensons donc qu’après les élections politiques en Amérique du Sud, au Brésil, au Chili, au Pérou et au Mexique, nous pourrons observer quelques comportements au niveau de la productivité et du PIB qui se sont produits d’abord chez nos voisins, comme le Brésil ou le Chili. Tout d’abord, ils ont maintenu leur statu quo. Nous maintenons notre statu quo. Deuxièmement, l’an dernier, notre croissance a décéléré. Le Brésil et le Chili sont déjà passés par là et leur reprise est plus viable. Je pense qu’avec le cycle d’assouplissement commencé en décembre et la baisse de l’inflation, nous pouvons nous attendre à une partie de cette reprise cette année, en 2024. Bien sûr, elle sera progressive. Nous croyons pouvoir atteindre une croissance de 1,5 % à 1,8 %, mais il s’agit quand même d’une reprise.
Cela étant dit, à mon avis, il y a beaucoup de points à surveiller, du moins à court terme. Alors, Jackie, que surveilleriez-vous pendant le premier trimestre de 2024?
J. P. : Je recommanderais certainement aux gens de prêter attention aux poussées inflationnistes et à leurs effets sur le PIB. Au final, tout ce que nous voulons est d’amener l’économie sur une trajectoire de croissance économique plus durable et d’atteindre la cible de maîtrise de l’inflation. J’estime donc que nous devons porter une grande attention à l’évolution de ces poussées inflationnistes. Je dirais qu’au premier trimestre 2024, nous verrons probablement la baisse la plus forte de l’inflation. N’oubliez pas, comme nous l’avons déjà dit, que nous avons un mécanisme particulier en Colombie : les effets de l’indexation. Nous avions l’habitude de fixer les prix en fonction des prix précédents. Ceci étant dit, les loyers et tous les services à prédominance de main-d’œuvre sont très touchés par l’augmentation du salaire minimum et tout ce qui s’ensuit. À titre comparatif, en 2024, les forces d’indexation sont plus faibles qu’en 2023. Rappelons que, par exemple, les loyers pourraient augmenter d’environ 9,3 % cette année, par rapport l’augmentation possible de 13 % en 2023. L’indexation est plus basse. Nous avons aussi une indexation plus faible en ce qui concerne les services touchés par le salaire minimum. Le salaire minimum a augmenté de 16 % en 2023. Cette année, il augmente de 12 %. Selon mes prévisions, nous verrons à quel point cette poussée inflationniste est forte pendant le premier trimestre de l’année. En ce sens, je crois qu’il sera aussi très intéressant de voir comment la banque centrale réagira. Accélérera-t-elle le cycle d’assouplissement? En ce qui concerne le PIB économique, la grande question est de savoir si nous pouvons espérer un atterrissage en douceur ou si l’économie demeurera inférieure à la tendance à long terme. Comme nous l’avons déjà mentionné, les ménages ont fortement réduit leur consommation en 2023. Je pense que nous devons attendre de voir si les taux plus bas leur permettent de souffler un peu et si les investissements s’améliorent après les élections régionales. Selon moi, le point névralgique de l’évaluation de la Colombie n’est pas seulement l’inflation, mais aussi, comme nous l’avons mentionné, la croissance du PIB et la réussite de ce fameux atterrissage en douceur, je dirais.
Dans l’ensemble, nos critiques sont très constructives pour la Colombie et nous sommes optimistes quant à son potentiel économique, mais nous devons reconnaître que quelques risques importants se posent. Que pouvez-vous nous dire, Sergio, sur les principaux risques à ne pas négliger pour 2024?
S. O. : Oui, à mon avis, il est important d’anticiper ce qui pourrait mal tourner en Colombie, même si nous sommes optimistes sur le plan économique cette année. Je pense qu’il est important de faire la distinction entre les perspectives du marché et les perspectives de l’économie réelle. Sur le marché, le cycle d’assouplissement de la banque centrale sera certainement déterminant, c’est-à-dire la rapidité à laquelle elle baissera le taux directeur. Nous devons rester aux aguets : l’inflation pourrait nous surprendre. C’est le principal risque sur le marché à l’heure actuelle et il signifierait que la banque centrale n’arriverait pas à réduire son taux directeur aussi rapidement que nous le pensions, soit de 13 % en décembre à 7 % en décembre prochain. Pour l’économie réelle, nous devons prendre conscience que nous avons désormais un type de gouvernement différent et qu’il y a beaucoup de tensions dans les différents secteurs confrontés aux politiques gouvernementales. Ces conflits peuvent certainement avoir des répercussions sur la croissance et les dépenses publiques pourraient être réduites en cours de route. Bien sûr, un autre élément important qui pourrait nuire à l’investissement dans les régions rurales : l’augmentation de la violence en Colombie, surtout en régions rurales. À mes yeux, le gouvernement n’a pas investi assez pour garder la situation sous contrôle dans ces régions. Elle pourrait donc accroître l’incertitude aux yeux de certains investisseurs et diminuer l’investissement dans l’économie. Je pense donc que c’est un point qui pèsera dans la balance. En résumé, à mon avis, nous devons premièrement être très prudents quant au redressement du PIB et à sa vitesse. Deuxièmement, si l’inflation se poursuit, la croissance diminuera en 2024 ou pourrait peut-être s’accélérer légèrement. Troisièmement, il faut tenir compte de la vitesse à laquelle la banque centrale baissera le taux directeur.
J. P. : Oui, Sergio, d’après moi, comme nous l’avons dit au début de l’épisode, le marché comprime presque toute la prime de risques en Colombie en ce qui concerne la situation politique. Pour moi, le risque le plus grand est probablement, je me répète, tout ce qui touche aux réformes au programme. Les projecteurs seront encore essentiellement braqués sur le résultat de cette discussion, pour voir si les pressions budgétaires augmenteront ou non pour le gouvernement. Il faudra aussi rester à l’affût de ce qui se passe avec son plan budgétaire. Le plan financier n’a pas encore été publié. Nous verrons ce qu’il en est probablement en février ou en mars, période à laquelle le gouvernement publie habituellement ce document. En attendant, pour clarifier les choses, le gouvernement maintient son plan d’émission d’origine. La majorité des titres obligataires courants restent pareils à 2023. Pour l’instant, nous nous attendons donc à des changements de ce côté. Finalement, pour revenir sur la question de l’atterrissage en douceur : la Colombie est-elle en voie de le réussir? L’inflation s’approche-t-elle de la fourchette cible à l’horizon de la politique monétaire? Selon moi, ce sont les trois principaux risques à surveiller.
Merci, Sergio, de votre présence aujourd’hui. Ce fut une discussion très intéressante. J’ai beaucoup aimé.
S. O. : Tout le plaisir était pour moi. Nous avons un message de l’équipe des ventes. N’hésitez pas à communiquer avec votre représentant ou représentante des ventes, Banque Scotia pour des idées d’opérations en 2024.
Présentatrice : Merci d’avoir écouté le balado Le point sur les marchés de la Banque Scotia. N’oubliez pas de suivre l’émission sur votre plateforme de balado préférée. Vous pouvez aussi consulter notre site Web https://www.gbm.scotiabank.com/fr.html pour d’autres émissions riches en réflexions.
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Jackeline Piraján
Senior Economist, Scotiabank Colpatria
Courriel Jackeline
Sergio Olarte
Head Economist, Scotiabank Colpatria
Courriel Sergio
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